Pertinence De L'algorithme De Calcul De La Puissance Critique

Oct 7, 2020

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Récemment, en lisant un peu le fil de discussion de la communauté Stryd sur Facebook, j’étais étonné du nombre de personnes qui criaient à l’aide en constatant que la puissance critique diminuait ou au contraire qui semblait fêter son augmentation.

J’ai trouvé ça assez cocasse. C’est un peu comme si les coureurs ne cherchaient plus à améliorer leur chrono mais juste leurs métriques.

J’ignorais volontairement ce genre de métriques calculées par des algorithmes dont on ne connait pas le fonctionnement pour n’utiliser que ce que je maitrisais moi-même. (à savoir les zones de fréquence cardiaque pour les courses lentes et les zones de vitesse lorsqu’il s’agit d’intervalles) Mais, du coup, ça a excité ma curiosité et je me suis mis à regarder un peu plus près l’algorithme de calcul de la puissance critique, ou du moins ce qu’on en sait.

Le paradoxe

Je suis tout d’abord tombé sur un paradoxe: en 6 mois, ma puissance critique n’a fait que dégringoler. Et pourtant, je courrais de plus en plus. Je ne récolterais donc plus le fruit de mes efforts? Et mes performances se dégraderaient donc au fur et à mesure de mes entrainements?

Évolution de la puissance critique
Évolution de la puissance critique sur une période de 6 mois

Comme on peut le constater, ma puissance critique a diminué de près de 15%. J’ai alors consulté la variation de l’évolution du VO2max estimée par Garmin sur la même période. Et là, surprise, J’ai gagné 15%!

Évolution du VO2max
Évolution du VO2max sur une période de 6 mois

Que conclure? On pourrait supposer tout d’abord que les deux estimations sont correctes même si à priori ça semble bizarre.
Le VO2max est le débit maximal d’oxygène que peut consommer l’organisme lors d’un effort. Dit autrement, c’est la quantité maximale d’oxygène que le corps est capable d’extraire de l’air, puis de transporter jusqu’aux fibres musculaires. Donc, cette capacité aurait augmenté mais ma puissance musculaire aurait diminué. Ce qui voudrait plus ou moins dire que je suis certes capable de courir mieux sans m’essouffler mais que ma vitesse maximale diminue.
C’est peu crédible.

Le plus probable est que l’un des indicateurs est mal estimé. Je vais donc passer le calcul de la puissance critique au crible. Je pourrais faire de même avec celui de l’estimation du VO2max de Garmin mais les informations pertinentes diffusées par Firstbeat sont trop sporadiques. C’est d’ailleurs pourquoi il est difficile d’être convaincu de la justesse de leur algorithme…

Comment fonctionne l’estimation de la puissance critique?

Stryd a publié un article1 qui explique comment s’assurer que la puissance critique reste calculée de manière précise.

Voici les recommandations:

Plus vous aurez de variété dans votre course, plus votre puissance critique sera précise. Nous recommandons ce qui suit:

  1. Courses longues d’une durée d’une heure.
  2. Course de moyenne durée de 10 à 20 minutes à effort maximum ou presque maximum (contre la montre ou course)
  3. Un effort court maximal d’une durée de 3 à 5 minutes.
  4. Sprints de courte distance à l’effort maximal (durée de 10 à 30 secondes).

Stryd utilisera environ 90 jours d’exercices pour déterminer votre puissance critique. Les courses qui contribuent à votre puissance critique peuvent être visualisées dans la courbe de durée de puissance.

D’une manière simpliste, l’algorithme collecte les maximas sur 3 mois des puissances pour des courses de distances différentes, de très courtes de 30s uniquement à celles qui dépassent une heure.

L’ensemble de ces courses est ensuite résumé en un graphique appelé courbe de puissance en fonction de la durée (Power Duration Curve):

Courbe de puissance
Courbe de puissance en fonction de la durée

La courbe continue blanche représente le modèle déduit par l’algorithme de Stryd2. Les courbes colorées représentent les puissances maximales au cours des dernières courses réalisées. La première courbe est une extrapolation, la seconde est composée de mesures. (Il est d’ailleurs à noter que Stryd indique même les courses prises en compte.) Et ce sont ces mesures qui permettent de calculer la courbe modèle et la puissance critique.

Le modèle est assez simple à interpréter: il représente la puissance cible que l’on peut espérer maintenir pour une course d’une durée donnée. Ici, pour une course de 5 minutes et 30 secondes, je peux espérer tenir à 226W.

La première chose qui est remarquable dans cet algorithme est que seul des valeurs maximales sont prises en compte. Cela suppose qu’il faille courir régulièrement à fond. Si ce n’est pas le cas, les différentes puissances maximales selon la durée des courses seront sous-estimées.
C’est d’autant plus vrai que la fréquence cardiaque n’est pas exploitée. L’algorithme n’est dont pas capable de moduler la puissance mesurée en estimant l’effort fourni par comparaison avec la fréquence cardiaque mesurée.

Où est le problème?

Le problème de cet algorithme est qu’il suppose que le coureur suit un entrainement mixte composé d’intervalles intensifs et de courses soutenues. Si tel est le cas, l’algorithme est dans les conditions dans lequel il est prévu pour fonctionner et il produira certainement des valeurs réalistes.

Mais, il y a d’autres façons de s’entrainer que de pousser la machine à fond sur la route avec des séances fractionnées. On peut décider de privilégier de travailler l’endurance fondamentale avec des courses longues mais faciles. On peut aussi décider de baisser le niveau d’effort pour mieux travailler sa technique de course. Et puis, on peut simplement avoir envie de courir pour son plaisir sans chercher d’amélioration.

Dans tous ces cas, la puissance critique auto-calculée diminuera. Par contre, il n’y a aucune raison que ce soit le cas sur sa propre performance en course. L’algorithme n’est simplement pas adapté à ce genre d’entrainement.

Que faire?

Le premier réflexe est de se dire qu’il suffit de suivre les recommandations de Stryd. Pourquoi pas.
Mais, d’une manière générale, si l’on a décidé de suivre une philosophie d’entrainement, la changer juste pour satisfaire un algorithme, tout de même lacunaire, n’est pas une raison en soi. Il y a même le risque d’optimiser son comportement pour maximiser sa puissance critique sur le papier alors qu’en réalité les progrès sur le chrono ne suivront pas. On optimise ses résultats en fonction du banc de test uniquement.

Stryd propose pour estimer sa puissance critique deux tests3 et un outil de calcul4 à partir de ceux-ci. Cette façon de procéder est bien moins contraignante. En plus, elle permet de faire le point avec un test de référence que l’on pourra faire en début de sa séance de tapering (pour évaluer sa puissance ciblée lors d’une course) ou simplement régulièrement pour faire un suivi.

Le résultat

Je décide donc de laisser tomber le calcul automatique et fait le test 3/9:

  1. S’échauffer pendant 15 minutes
  2. Courir 3 minutes à fond
  3. 30 minutes de récupération (marche ou footing très léger)
  4. Courir 9 minutes à fond

Je récupère la puissance et la vitesse des deux intervalles et entre le résultat dans le formulaire de Stryd et j’obtiens 217w. Cette valeur est d’ailleurs plus cohérente avec l’impression générale d’avoir bien maintenu ma performance lors des 6 derniers mois (qui était alors de 213w).

Conclusion

Il est difficile de porter un jugement sur le calcul automatique de la puissance critique. Mais, il se base sur l’hypothèse forte de sorties intensives répétées et variées. Ce n’est pas forcément le genre de courses pratiquées par tout les coureurs du dimanche. Et, je suis un peu sceptique quand au risque de blessures qu’ils peuvent causer.

Je pense que pour tout ceux qui s’adonnent uniquement à la course plaisir, il vaut mieux désactiver cette fonctionnalité et de faire de temps en temps un test d’évaluation.
Pour ceux qui visent la performance à tout prix, ce test est tout autant important pour faire un point régulier. Et dans ces conditions, on peut se demander l’intérêt d’un algorithme de calcul automatique dont on ignore la précision, autant utiliser les valeurs déduites des courses d’évaluations.


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