Peut-on Faire Un Test D'effort Soi-Même?

Dec 13, 2020

14 mins read

Un grand merci à VO2 Sport Sàrl pour un commentaire très instructif à propos des différents seuils et qui m’a permit de corriger une erreur.

En effet les tests de terrain tels que le test de Conconi ne sont pas fiables pour mesurer les performances avec précision. Cela donne une bonne idée globale, mais ils sur- ou sous- estiment les valeurs. C’est pourquoi il est nécessaire de faire un test en laboratoire, effectué par des professionnels, avec mesure des échanges gazeux, de la lactatémie sanguine et de la fréquence cardiaque. Des tests seulement à la FC et/ou lactate ne sont pas suffisants pour déterminer les seuils, c’est réellement grâce aux échanges gazeux (méthodes de Wasserman, Beaver). (Par expérience, nous avons constaté que si nous mesurions que la FC et la lactatémie sanguine, les résultats en terme de zones d’entraînement nous semblent pas valides malgré qu’ils l’acceptent dans le milieu scientifique).

Par rapport à votre article que nous avons parcouru, faites attention car le point de déflexion permettrait de trouver le seuil ventilatoire 2 ou le seuil lactique 2 😊 anciennement appelé seuil anaérobique) et la vitesse au seuil (SV2) n’est pas une vitesse que l’on peut soutenir à l’infini. La vitesse au seuil peut être soutenue environ 1h (dépend de la résistance de l’athlète). Il faut bien faire la distinction entre le SV1 et le SV2 (respectivement SL1 et SL2).

VO2 Sport Sàrl

Présentation

Le professeur Francesco Conconi n’est pas seulement tristement célèbre dans les affaires de dopage à l’EPO. Dans les années 80, il a établi un protocole de test d’effort qui permet de mesurer une fréquence cardiaque au-dessus de laquelle l’acide lactique dans le corps s’accumule. Au-delà de ce seuil, l’athlète n’est plus capable de prolonger l’effort d’endurance et s’épuise au bout d’une heure environ.

Ce seuil est particulièrement intéressant car il permet d’estimer une limite maximale de l’effort pour les sport d’endurance. Ce qui est particulièrement utile pour éviter de se trouver en face de ce fameux mur que connaissent beaucoup de marathoniens.

Il permet aussi de définir des zones de fréquence cardiaque de manière précise ou du moins non plus basé sur le ressenti uniquement de l’athlète mais sur des mesures reproductibles et objectives.

Enfin, connaissant cette fréquence cardiaque de seuil, on peut mesurer la vitesse ou la puissance correspondante. Celle-ci correspond alors à la vitesse ou à la puissance maximale que l’on peut courir sur des distances moyennes (du 10km jusqu’au semi-marathon). Cette vitesse n’est rien d’autre que la vitesse maximale en aérobie (VMA). Et à partir de celle-ci, il est possible d’en estimer le fameux VO2max.

Bref, un test qui livre des informations complètes et pertinentes, du moins sur le papier. Et nous verrons que dans la réalité les choses sont loin d’être aussi simples…

La théorie

Le protocole

Le principe de base du test est assez simple à comprendre. Il s’agit de courir par paliers et de maintenir la vitesse. La fréquence cardiaque s’ajustera au bout de quelques secondes à l’intensité du nouvel effort et donc à la fin du palier, on la mesure.

Plus concrètement, le protocole standard est:

  1. faire un échauffement par une marche soutenue pendant au moins 10 minutes
  2. puis courir des distances de 200m en commençant à 8km/h et en incrémentant la vitesse à chaque fois de 0,5km/h tous les 200m. Durant les derniers 50m du palier, on mesure et on note la fréquence cardiaque (et bien sûr aussi la vitesse).
  3. on arrête le test quand on n’arrive plus à suivre cette vitesse ciblée.

Interprétation des résultats

La première mesure que l’on peut déterminer de manière sure et triviale est la fréquence cardiaque maximale (FCmax). On peut aussi relever la vitesse (VFCmax) et la puissance (PFCmax) à cet instant. Le corps court en anaérobie et cela permet de connaitre la vitesse maximale à tenir pour des intervalles de 30s à 1min.

Pour déterminer la vitesse maximale en aérobie, deux méthodes sont possibles:

  • Rechercher le point de déflexion dans la courbe fréquence cardiaque pour la puissance/vitesse
  • Prendre la vitesse moyenne des derniers 1200m.

La deuxième méthode est assez approximative et certainement déduite de manière empirique des études statiques de la première.

La première semble particulièrement intéressante car on sent tout de suite qu’elle est basée sur une rupture de linéarité entre l’énergie interne fournie (mesurée par a fréquence cardiaque) et l’effort physique produite (mesurée par la puissance ou la vitesse)

De manière concrète, la fréquence cardiaque évolue de manière linéaire au fur et à mesure que la vitesse de course augmente mais arrivée à un seuil, la pente de la courbe change. C’est ce point de déflexion qui nous indique la VMA.

Test de Conconi - Point de Déflexion
Test de Conconi - Point de Déflexion

Critique théorique

Dans la majorité des sites sur Internet, une présentation du test est faite et on a l’impression qu’il suffit de suivre le protocole pour obtenir des résultats pertinents. Mais, ils se gardent bien de publier des mesures, et pour cause, c’est pas un test si simple à effectuer. (nous verrons ça après)

Mais, surtout, même effectué dans un laboratoire rien ne garanti qu’on obtienne des mesures pertinentes en recherchant le point de déflexion.

D’après l’étude statistique sur la recherche du point de déflexion “The Conconi Test-Searching for the Deflection Point1, ce point n’est visible que pour 77% des athlètes (sur un échantillon de 2500). Bref, pour un quart des sportifs ça ne marche pas du tout. Un autre point qui n’est pas anodin: le seuil mesuré en utilisant l’analyse des gaz expirés lors de l’épreuve de test donne une valeur différente du point de déflexion. Il est en moyenne surestimé de 7 pulsations par rapport à la mesure précise.

En bref, contrairement à ce qu’on lit souvent sur les sites de course à pied ou de cyclisme, ca ne marche pas bien et on n’obtient pas vraiment quelque chose de précis.

Ensuite, il faut souligner qu’il y a un problème d’asymétrie des mesures. En effet, une grande partie des mesures sont faites en dessous du point de déflexion et souvent peu de mesures sont faites au-dessus. En gros, si 3 mesures seulement sont faites au-dessus du point de déflexion, comment être sûr que l’on a réussi à l’identifier? Cela pourrait seulement être une coïncidence. Il faudrait plus de mesures pour s’en persuader.

Ce qui nous amène directement à se demander si l’on ne peut pas augmenter la précision de l’analyse du test en analysant plus de données. Enregistrer un couple vitesse/fréquence cardiaque tous les 200m n’est plus vraiment moderne, nos montres sont capable d’enregistrer la puissance et la fréquence cardiaque toutes les secondes voir même de les traiter. Nous allons voir si c’est possible d’améliorer la pertinence de ce test en utilisant la puissance et une analyse statistique plus fine.

Expérimentation

Je suis parti du point de vue que le capteur de puissance est capable de gommer les aspérités du terrain et qu’il suffit d’enregistrer le couple de puissance/fréquence cardiaque pendant les 50 derniers mètres de chaque palier. La course est donc en extérieur sur route plate.

J’ai donc programmé ma montre pour qu’elle me fixe une vitesse cible qui s’incrémente de 0.5km/h tous les 200m et qui calcule la moyenne sur les 50 derniers mètres de chaque étape.

Je pensais que ça allait être simple de suivre les consignes mais j’ai du m’y prendre à deux fois. J’étais systématiquement trop soit trop vite, soit trop lent la première fois. J’ai pu corriger ce point en changeant la façon dont les alarmes d’allures étaient produite lors de la deuxième course. Néanmoins, maintenir la cadence demande un effort de concentration et dans les premiers 100m de chaque nouvel intervalle, il est toujours difficile de la trouver.

Analyse des mesures prises à la fin des intervalles

J’ai alors téléchargé de Garmin Connect les informations des intervalles au format CSV, un coup de tableur et voila le résultat:

Résultat de test de Conconi
Mesures - Pulsations/Puissance pour chaque intervalle

La régression linéaire donne la formule suivante: $$ Pulsations = 46 + 0.54 \times Puissance$$

On voit bien une relation affine entre la puissance et la fréquence cardiaque mais il est difficile de reconnaitre un point de déflexion. Comme évoqué dans l’article, ce point n’existe que pour 3 athlètes sur 4. Il est fort possible qu’il n’existe pas pour mon cas.

Ce qui est par contre plus perturbant est qu’il y a des points qui ne suivent pas la ligne affine. Ils illustrent, en fait, la difficulté à suivre la vitesse cible. Je pense que les aspérités du terrain conjugué au fait de devoir suivre un rythme dicté par des alarmes créent une perte d’efficacité en course. L’effort risque de ne plus être progressif et l’énergie fournie par le système cardiovasculaire peut alors être plus élevée que lors d’une course bien régulière.

C’est pourquoi, je pense qu’un test sur un tapi, qui offre une meilleure régularité et qui impose la vitesse, doit permettre des meilleurs mesures. Cet aspect est d’autant plus important que pour trouver un point de déflexion, il faut disposer de mesures fiables lorsque l’effort est soutenu et que ceux-ci sont moins nombreux. Il est d’ailleurs fort à parier que l’impossibilité de le déterminer dans mon cas est dû à la perte de précision de la course en extérieur.

Analyse complète des données

Il faut dire que prendre une mesure à la fin d’un intervalle revient à mettre à la poubelle la grande partie des mesures. On perd la possibilité d’améliorer la précision par une analyse statistique. Celle-ci permettrait de compenser le manque de rigueur d’un protocole en extérieur. Dans mon cas, par exemple, d’éliminer les deux ou trois intervalles qui n’étaient pas probant.

Voici le résultat:

Résultat de test de Conconi
Mesures - Pulsations/Puissance

L’approximation affine est presque identique:

$$ Pulsations = 48 + 0.53 \times Puissance $$

Ici, on distingue plus clairement qu’il y a eu une erreur de mesure qui s’est produite avec un rapport pulsation/puissance cardiaque qui s’est mis à faire n’importe quoi aux alentour de 200w. On voit aussi un plateau qui se dessine vers 220w mais il n’est pas assez marqué pour qu’on puisse en déduire quoi que ce soit.

Bref, on obtient le même résultat avec plus de données. On conforte juste la première analyse. L’étape suivante est d’utiliser un modèle du comportement de la fréquence cardiaque en fonction de la puissance et de l’analyser par ce biais.

En gros, on cherche à prédire la fréquence cardiaque en fonction de la puissance de course et à partir de cette prédiction à faire une analyse. Cette méthode est en général plus pertinente car elle permet de gommer les irrégularités. En gros, le modèle apprend à déterminer la fréquence cardiaque avec un test réalisé de manière imparfaite, puis on simule le résultat d’un test idéal2.

Le modèle le plus simple est de dire que la fréquence cardiaque dépend de l’intensité moyenne de la minute qu’on vient de courir. On divise alors cette minute en sous-intervalles égaux et l’algorithme devra trouver la bonne combinaison linéaire pour avoir la meilleure prédiction. C’est relativement intuitif et correspond à peu près au feeling: la pulsation agit avec un retard sur l’effort musculaire et est dépendante d’une intensité cumulée sur les dernières secondes.

Ce modèle permet-il de prédire la fréquence cardiaque et avec quelle précision?

Pour ce faire, nous allons faire quelques expérimentations numériques.

Commençons par le cas le plus trivial: recherchons une relation affine entre la puissance délivrée lors de la dernière minute et la fréquence cardiaque actuelle.

Fréquence cardiaque en fonction de la puissance de la dernière minute de course
Fréquence cardiaque en fonction de la puissance de la dernière minute de course

On voit que ce modèle a tendance à bien suivre la mesure, il permet même de filtrer le moment où il y avait un décrochage entre la puissance et la fréquence cardiaque.

Ceci dit, l’écart type entre la mesure et la fréquence cardiaque est de 4.98 pulsations.Cet écart est trop important pour déterminer de manière précise un point d’inflexion. Un calcul donnerait donc une erreur moyenne de plus ou moins 5 pulsations. C’est pas suffisant.

Cherchons alors à établir un modèle plus fin qui se base sur la puissance moyenne sur 5 secondes pendant la dernière minute. Ce modèle permet de mieux prendre en compte les accélérations et les intervalles de 30s.

Voilà le résultat:

Fréquence cardiaque en fonction des puissances moyennes sur 5s de la dernière minute de course
Fréquence cardiaque en fonction des puissances moyennes sur 5s de la dernière minute de course

Il est quasiment identique bien que le nombre de paramètres pris en compte est plus important. L’écart type est quasiment identique avec une valeur de 5,64 pulsations. Alors que si le modèle était pertinent cette erreur aurait du sensiblement décroitre.

D’ailleurs en regardant plus en détail les paramètres appris, on obtient une oscillation incohérence des points de valeurs. Ainsi, la puissance des 5 dernières secondes est quasiment soustraite à la précédente. (voir le graphique ci-dessous). Ceci est le signe que le nouveau modèle s’affine en se calant sur le bruit de la mesure.

Paramètres du modèle utilisant la puissance moyenne sur 5 secondes
Paramètres du modèle utilisant la puissance moyenne sur 5 secondes

Bref, on arrive à une limite qui, pour être franchie, requiert des données mesurées plus proprement.

Conclusion

Le test de Conconi est le genre de tests qui requiert de suivre une méthodologie très stricte. On ne peut pas penser compenser le manque de rigueur de la mesure par des algorithmes.

C’est pourquoi, il faut veiller à:

  1. Utiliser une méthode fiable de la mesure de la fréquence cardiaque. Il faut donc utiliser une ceinture pectorale bien humidifiée avant. Surtout, il faut éviter la mesure au poignet qui présente en plus une latence énorme en plus de souvent décrocher.
  2. Courir à l’extérieur même sur piste est à éviter car il est difficile de trouver le rythme juste avec des indications sur sa vitesse actuelle. Il y a un risque de stress induit qui créer des erreurs de mesure. Le tapis de course qui impose la vitesse est plus adapté.

Ensuite, faire ce test soi-même pose le problème de la pertinence des résultats trouvés. Même dans de bonnes conditions, seul dans 3/4 des cas, le point de déflexion est visible. Et même, si on le trouve, il est, dans la majorité des cas, décalé par rapport au véritable seuil qu’il devrait représenter.

C’est pourquoi, je pense que ce test n’est pas vraiment significatif s’il n’est pas fait par un professionnel qui dispose d’appareils de mesure de la composition des gaz expirés. Uniquement dans ce contexte, il est possible de mesurer de manière fiable et précise la VMA et les fréquences de seuil.

Si ensuite, si on veut le refaire soi-même, il est alors intéressant de récupérer le détail des mesures lors du test en institut. Cela permet tout d’abord de savoir si un point de déflexion existe lors des mesures en condition de laboratoire et de vérifier qu’il est identique lors d’un nouveau test réalisé quelques jours après. Ensuite, on a la possibilité d’avoir le décalage entre la fréquence de seuil et le point de déflexion par le test en laboratoire. Si l’on intègre alors régulièrement un test de Conconi dans un plan d’entrainement, il permet d’ajuster de manière plus fine sa VMA.

Mais, pour ma part, vu la rigueur nécessaire pour le mettre en œuvre, je ne l’utiliserais pas pour mesurer une progression. Il vaut mieux le remplacer par des tests simples comme celui de Cooper ou le Magic Mile. Ils sont plus simple, facile à refaire et à inclure dans un programme d’entraînement.


  1. Hnízdil, Jan & Skopek, Martin & Balkó, Štefan & Nosek, Martin & Louka, Oto & Musalek, Martin & Heller, Jan. (2019). The Conconi Test-Searching for the Deflection Point. Physical Activity Review. 7. 10.16926/par.2019.07.19. PDF ↩︎

  2. C’est d’ailleurs ce qui est utilisé pour déterminer l’allure équivalente sur piste de l’algorithme de Flat Pace qui donne de très bons résultats ↩︎


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